· Actualités Blog

Soubresauts de la démocratie en Afrique de l’Ouest : Entretien avec le politologue Mathias HOUNKPE

Le cinquième président du Sénégal est définitivement installé dans ses fonctions ce mardi 02 Avril 2024. Bassirou DIOMAYE FAYE, le jeune président de 44 ans élu au premier tour du scrutin avec 54,28% des voix fait la fierté de tous les Africains surtout du peuple sénégalais qui a défendu contre vents et marrées sa démocratie au détriment des premiers choix de l’ancien président Macky SALL. Occasion pour nous à AfricTivistes CitizenLab Bénin de publier cette interview du politologue béninois Mathias HOUNKPE sur le concept de démocratie et les soubresauts qu’elle subit depuis quelques années dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest.  

ACLB : Bonjour Mr HOUNKPE

Mathias HOUNKPE : Bonjour à vous,

ACLB : Pouvez-vous analyser avec nous l’échec démocratique que l’on remarque dans plusieurs pays de la sous-région africaine depuis un moment et quel avenir cela présage pour le continent ?

M H : Je voudrais dire que je ne verrai pas les soubresauts qui s’observent dans la sous-région, je veux dire en Afrique de l’Ouest, par rapport au processus de la démocratisation dans nos pays comme un échec de la démocratie. Parce que même lorsqu’on regarde les pays qu’on considère aujourd’hui comme des modèles de démocratie ou les démocraties consolidées, ces pays aussi ont traversé des moments de turbulences, un peu comme les nôtres en traversent aujourd’hui. Si, vous prenez un pays comme la France, elle est à sa 5e république depuis 1991. Et, c’est seulement cette république qui est entrain  de dépasser 70 ans d’existence. Les autres républiques qui ont précédé, aucune n’a dépassé les 70 ans. Ça veut dire que les démocraties ne sont pas simplement de longs fleuves tranquilles où tout se passe bien sans difficultés. Elles connaissent des hauts et des bas, et il appartient aux citoyens de tout faire pour les remettre sur les rails pour que le processus se poursuive. Vous prenez les Etats-Unis aujourd’hui, après plus de 200 ans de démocratie, je crois que tout le monde est d’accord qu’elle ne se porte pas bien.

Lire aussi : Notion de la participation citoyenne, entretien avec Théodule NOUATCHI

Par ailleurs, lorsque nous avons rejoint les processus de démocratisation vers la fin des années 80, on disait qu’on faisait partie de la 3e vague de démocratisation. Cela veut dire que quand vous prenez l’histoire des processus de démocratisation depuis 1991, c’est la 3e fois qu’on voit beaucoup de pays allés de système non démocratique vers des systèmes démocratiques.  Cela sous-entend que par le passé, on a déjà connu au moins deux (02) vagues inverses où des pays démocratiques ont décliné pour aller vers des systèmes non démocratiques. Donc ça fait partie de la vie des démocraties de rencontrer des difficultés, de trébucher.

ACLB : Quel doit-être le rôle des citoyens lorsque des démocraties sont mises à l’épreuve ?

M H : Lorsque vous regardez les pays de la sous-région ouest africaine, vous avez des pays qui, dès le départ, ont rencontré des difficultés comme si on ne trouvait pas encore la bonne manière de mettre en place un système démocratique qui fonctionne. Au fond, tous les pays qui sont en transition aujourd’hui : le Niger, le Burkina-Faso, le Mali, la Guinée, il y a environ 12 ans, ou un peu plus pour certains, ils étaient tous déjà en transition. Ça veut dire qu’il y a encore des problèmes qu’on ne comprend pas très bien, qui font que les transitions passées n’ont pas créée les conditions pour que le chemin ait moins d’aspérités et crée moins de problèmes, donc, ils se retrouvent encore en transition. Ça impose à tout le monde aujourd’hui de faire attention à la manière dont on traverse cette transition pour que les phases post-transitions ne ressemblent pas encore aux phases pré-transitions. Que d’ici à 10 ans, 15 ans ces pays ne se retrouvent encore dans des transitions. Mais, quand vous comparez les pays dont je parle aux pays comme le Bénin, le Ghana, le Cap-Vert, le Sénégal etc. vous voyez que depuis les années 90, on rencontre nos difficultés, mais ses pays tiennent la route. Ces pays ne sont pas à l’abri comme le Sénégal il y a quelques semaines. Donc, vous pouvez malheureusement rencontrer des situations où ça peut devenir aussi difficile. Pour moi les démocraties ne sont pas de longs fleuves tranquilles. Il y a un philosophe politique qui a l’habitude de dire que « La démocratie, ce n’est pas comme un arbre qu’il faut mettre en terre et aller s’asseoir et regarder pousser au gré des saisons ».   Les démocraties deviennent ce que les démocrates, c’est-à-dire les citoyens veulent bien qu’elles soient. C’est à nous les citoyens qu’il appartient de travailler à ce que nos démocraties fonctionnent comme on le souhaiterait. C’est ce qui se passe au Sénégal. Vous avez vu les populations sénégalaises sortir pour dire nous ne voulons que notre système fonctionne de la manière dont les politiciens veulent le faire fonctionner.

Lire aussi : Démocratie, défis de l’engagement citoyen avec AfricTivistes CitizenLab Bénin

ACLB : Pour finir, que répondriez vous à ceux qui estiment que la démocratie n’est pas pour l’Afrique au regard des problèmes socio-politiques que rencontrent certains pays ?

M H : je dirai qu’il faut noter également que, toutes les démocraties à travers le monde aujourd’hui sont en difficulté. Lorsque vous regardez l’Europe, les États-Unis, l’Asie, tous les pays qui étaient considérés comme de vraies démocraties, pour la plupart leurs démocraties sont essoufflées en ce moment. Donc, le fait que les démocraties qu’on considérait comme des modèles traversent aussi des zones de turbulence, ça augmente les difficultés des pays comme les nôtres. Nous qui sommes au début de processus de consolidation de nos démocraties, ça nous crée des problèmes supplémentaires. Donc il faut tenir compte de cet environnement global qui interroge beaucoup de gens ou qui appelle à des questions sur la démocratie.  Tout cela fait que nous aussi en Afrique, on n’arrête pas de s’interroger sur la démocratie, ça augmente la marge de manœuvre des acteurs qui veulent profiter pour confisquer les pouvoirs sous prétexte que la démocratie ne marche pas, la démocratie a des difficultés. C’est vrai ; depuis la naissance de l’idée de la démocratie, personne n’a jamais pensé que c’était un système facile à mettre en œuvre. Qu’on rencontre des difficultés, ça ne me pose pas un problème, j’ai des problèmes lorsque devant les difficultés, on baisse les bras et qu’on considère que c’est parce que la démocratie n’est pas faite pour nous. Cela gêne énormément parce que je n’accepte pas cette idée que les africains ne peuvent pas être gérés dans la liberté, dans l’égalité, ne peuvent pas être gouvernés avec leur consentement. Je pense qu’il nous appartient de décider de notre système démocratique, une fois encore un peu comme les sénégalais le font aujourd’hui. Personne ne savait ce à quoi ça va aboutir mais au moins dès le départ ils ont refusé d’accepter une manière de gouverner leur pays.

ACLB : Nous vous remercions Mr HOUNKPE

M H : Je vous en prie.

Retour a l'actualité