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Participation citoyenne : pourquoi repositionner les jeunes au cœur de l’innovation civique à travers la technologie numérique ?

En Afrique, et particulièrement dans la région du Sahel, le renouveau démocratique amorcé au début des années 1990 bat de l’aile depuis une dizaine d’années. Ce moment de questionnement sur l’idéal démocratique dans un contexte sécuritaire tendu coïncide cependant avec l’essor des technologies numériques. Appliquées aux pratiques démocratiques, ces technologies apportent leur lot de possibilités dont se saisissent les acteurs de la société civile, notamment la jeunesse dynamique du continent.

Le numérique : levier de transformation démocratique aux mains de la jeunesse


Disons-le d’emblée, le numérique est bien plus qu’un outil de communication aujourd’hui. Il est un vecteur de mobilisation, d’organisation, de contestation pacifique et de co-construction des politiques publiques. En Afrique aussi, le numérique redéfinit les contours de la gouvernance publique et favorise la participation citoyenne en donnant la possibilité à des populations exclues des processus décisionnels de se faire entendre.

Les jeunes Africains, et ceux du Sahel en particulier, sont déjà les premiers utilisateurs des réseaux sociaux. Ils se saisissent de ces outils originellement destinés au divertissement pour en faire des leviers d’action politique. Ainsi, face aux injustices, ils s’organisent de façon créative en ligne. Ils organisent des campagnes, inventent des formats narratifs innovants, cartographient des données publiques, ou animent des communautés locales engagées. Tous les secteurs de la vie publique sont concernés : environnement, droits humains, santé, etc. Dans plusieurs pays africains, la jeunesse s’organise pour réinventer la participation malgré les restrictions en s’appuyant sur le numérique. Et ça fonctionne.

En Guinée, le projet Le Peuple est un observatoire citoyen du parlement qui démocratise l’accès aux informations et ressources parlementaires donnant la possibilité aux citoyens d’avoir une lisibilité inouïe sur l’action du parlement. Suivant le même principe, l’application MonElu lancée en 2017 au Mali, vise à rapprocher les députés de leurs électeurs. Elle permet aux citoyens de contacter les décideurs politiques par messagerie instantanée.

Au Nigeria, la célèbre initiative BudgIT rend les budgets publics accessibles et compréhensibles par des infographies partagées sur les réseaux sociaux. Cette initiative citoyenne saluée pour son efficacité et son apport dans la lutte contre la corruption au Nigeria a été reprise ailleurs comme au Sénégal. Ces initiatives montrent que l’innovation civique n’est pas qu’une affaire de technologies, mais de volonté politique et d’infrastructure démocratique.

Une menace constante


Malgré ces initiatives, force est de constater que les jeunes restent largement marginalisés dans les processus décisionnels. Cette énergie créatrice, moteur de l’innovation civique fondée sur le numérique, se heurte à plusieurs barrières :

  • l’absence de financement durable pour les projets portés par les jeunes,
  • le manque d’accès aux données publiques,
  • la faible reconnaissance institutionnelle des Civic Tech.


La répression numérique est notamment l’un des principaux freins qui hypothèquent l’innovation civique. Selon un rapport de Paradigm Initiative, plus de 25 coupures d’Internet ont été recensées en Afrique en 2023, souvent durant des scrutins ou des mouvements sociaux. Cette situation illustre la volonté de rétrécissement de l’espace civique dans la région et constitue un réel frein au renforcement de la participation citoyenne, notamment celle des jeunes. Dans la même logique, de plus en plus de lois liberticides voient le jour en Afrique ciblant notamment les acteurs informels de l’information en ligne comme les blogueurs, les lanceurs d’alertes et même les journalistes web. Sous le prétexte de réprimer les infox ( fake news ) et autres infractions similaires, elles sont utilisées pour censurer à grande échelle.

A terme, ces dispositions législatives favorisent l’avènement d’un climat de peur conduisant les acteurs à s’auto-censurer et à inhiber l’innovation civique. D’où la nécessité de revoir profondément ces cadres légaux manifestement répressifs et étouffant l’innovation civique. Si un encadrement du cyberespace est indispensable, il ne doit pas se faire au détriment des initiatives de participation citoyenne auxquelles le numérique apporte un souffle nouveau. D’autant que ces initiatives émanent d’une jeunesse souvent désillusionnée par une gouvernance traditionnelle, héritée d’une démocratie représentative elle-même remise en cause dans un monde en profonde mutation.

Créer un cadre favorable pour l’innovation civique


Aujourd’hui, trop peu de pays africains disposent de cadres juridiques clairs pour garantir les droits numériques fondamentaux : liberté d’expression en ligne, protection des données personnelles, accès équitable à l’Internet. L’absence de stratégie nationale d’inclusion numérique limite également la participation des jeunes ruraux, des femmes ou des personnes vivant avec un handicap.

Il est donc impératif de créer des espaces sûrs et favorables à l’innovation civique en :

Par ailleurs, les jeunes ne doivent pas seulement être “consultés” : ils doivent être reconnus comme des co-constructeurs de la gouvernance. À travers la narration numérique ou la mobilisation en ligne, ils peuvent transformer les institutions et les pratiques politiques. Au lieu de considérer ces mutations comme des menaces, il faut les encourager.

En définitive, il est important de repenser les politiques publiques numériques, de financer l’innovation civique locale, de garantir les libertés numériques, et surtout de faire confiance aux jeunes comme moteurs du changement démocratique. Car, en Afrique, le futur de la démocratie se joue désormais aussi en ligne, sur les plateformes et dans les lignes de code.

Par Maurice Thantan

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