Participation citoyenne des jeunes à l’ère du numérique au Bénin

La participation citoyenne est un pilier vital à la démocratie. Quel que soit le moyen utilisé, la gestion de la res publica (chose publique) ne peut se faire sans le citoyen. Dans l’Antiquité grecque déjà, le citoyen n’était pas que celui qui habite la Cité, mais celui qui participe à l’exercice du pouvoir, en participant au pouvoir délibératif ou à la fonction de juger1.
Quelques décennies plus tard, le rôle du citoyen a évolué. En effet, la forme représentative de la démocratie adoptée par la plupart des pays africains à l’avènement du renouveau démocratique dans les années 1990, a considérablement fait évoluer rôle du citoyen. Au Bénin ou au Sénégal, le citoyen ne participe plus directement à la gestion du pouvoir, mais délègue cette prérogative à des représentants élus par lui, qui agissent en son nom pour son compte. Mais ce mode de gouvernance montre à suffisance que le seul moment où les représentants prêtent un minimum d’attention aux besoins des citoyens, c’est à l’approche des élections. Encore faut-il que ces élections soient inclusives, transparences et libres.
Face à cette difficulté systémique, l’essor du numérique dans le monde et en particulier au Bénin est apparu comme une aubaine pour la revitalisation de la participation citoyenne des jeunes. Mais très vite, l’on s’est rendu compte que la participation citoyenne des jeunes à l’ère du numérique ne peut retrouver sa valeur et sa portée que si la volonté politique y est. La preuve, la participation citoyenne des jeunes est plus ou moins entravée par des lois rigides et restrictives. On songe par exemple au très controversé article 550 du code du numérique en vigueur au Bénin. À cela s’ajoute aussi, la fracture du numérique.
Si le constat de la restriction de l’espace civique numérique et la non-accessibilité à tous à internet est effectif, l’idéal ne serait – il pas alors de se concentrer sur comment renforcer la participation citoyenne des jeunes à l’ère du numérique au Bénin ? C’est à cet effet que dans le présent article, nous proposons deux pistes de solution pour renforcer l’engagement citoyen à l’ère du numérique du Bénin.
Renforcer la capacité des jeunes à l’usage des outils numériques à des fins ciblées
Deux raisons fondamentales peuvent justifier la nécessité d’un renforcement de capacité. Primo, il faut faire remarquer que le Bénin est confronté à un défi majeur. Celui de réduire considérablement la fracture numérique qui entrave la synergie d’action entre les jeunes béninois autour d’une cause. Le numérique est un domaine assez complexe à comprendre et à exploiter, principalement, pour les jeunes issus des milieux défavorisés. Conscient de cette situation, le Bénin au Sommet régional sur la transformation digitale en Afrique de l’Ouest et du Centre – Déclaration de Cotonou, a réaffirmé son souhait d’« assurer un accès haut débit abordable et fiable pour tous, couvrant au moins 95 % de la population d’ici 2030. Promouvoir les infrastructures transfrontalières, l’accès ouvert et des systèmes économes en énergie pour réduire la fracture numérique. » Les actes doivent suivre les engagements pris à ce Sommet pour parvenir au résultat escompté.
Secundo, il faut aussi reconnaitre qu’il ne suffit pas d’avoir accès à internet. Encore faut-il pouvoir en faire un usage responsable. L’essor du numérique est arrivé avec son lot de travers. Les fausses informations deviennent très rapidement virales sur les réseaux. Il faut avoir été capacité sur les méthodes de fack-checkin par exemple pour ne pas relayer de fausses informations. Selon ID Crypt Global, une entreprise spécialisée dans la sécurité des identités numériques, pas moins de 1,5 milliard de fake news sont publiées chaque jour sur Facebook, X (ex-Twitter), ou encore TikTok. L’éducation à l’utilisation des outils qu’offre le numérique est primordiale pour préserver ces jeunes des revers qui peuvent résultent du partage des fausses informations.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ACLB s’est fixé pour mission d’offrir des formations et de développer des outils qui renforcent la prise en compte de la voix des jeunes dans la gouvernance. Depuis 2024, plusieurs jeunes béninois ont été formés sur le « Menu des engagements possibles ».
Pour plus d’impact, ces séances de formations doivent désormais intégrer des objectifs un peu plus spécifiques. Il faut faire des renforcements de capacité aux jeunes sur les outils du numérique afin que ceux-ci en fassent un usage utile et ciblé. Concrètement, il s’agira de procéder au :
- Renforcement de l’usage du numérique à des fins de veille citoyenne
La veille citoyenne est une forme d’engagement civique qui permet aux citoyens lambdas et aux OSC de surveiller l’action publique dans la mise en œuvre des politiques publiques. Par ce biais, les citoyens arrivent à s’assurer de la transparence, de la recevabilité et de l’efficacité dans la gestion de la chose publique par les gouvernants. Grâce à cette veille citoyenne, les jeunes peuvent dénoncer les injustices, les malversations, des situations de corruption et de faire un suivi du processus électoral. Au cours de cette année électorale au Bénin, un observatoire de surveillance du processus électoral a été mis en place par WANEP Bénin pour permettre à la société civile à travers le projet GNRE (Groupe National de Réponse Electorale) d’avoir un œil sur ledit processus. L’objectif serait donc d’offrir une formation intégrant des modules axés non seulement sur la veille citoyenne, mais surtout sur l’usage du numérique à des fins de veille citoyenne.
- Renforcement de l’usage du numérique à des fins de mobilisation citoyenne
Dans sa forme traditionnelle, les mobilisations citoyennes se faisaient par des marches pacifiques, des affichages, etc. Aujourd’hui, grâce au numérique la mobilisation est plus facile et plus holistique. La campagne TaxePasMesmots réalisée en 2018 par les jeunes béninois confirme que le numérique est un outil de mobilisation citoyenne de masse. Il s’agira donc de rendre l’accès à internet et les frais de connexion accessibles à tous de manière équitable. Ceci peut passer par l’installation des points d’accès communautaires pour les jeunes. Aussi, des séances de renforcement de capacité à l’utilisation des outils numériques doivent être continues. Toutefois, ces formations ne serviront à quelque chose que si le cadre d’expression en matière juridique est favorable.
Renforcer les plaidoyers pour un cadre légal plus favorable à la participation citoyenne des jeunes à l’ère du numérique
Un cadre juridique favorable permet aux jeunes d’être actifs et d’influencer les politiques publiques. Même si cela n’est pas encore assez significatif en raison de l’indisponibilité de données publiques et du caractère virtuel de cette forme de participation, le citoyen participe, à tout le moins, en donnant son avis. La nécessité pour la société civile de renforcer les plaidoyers tendant à la révision des lois sur le numérique est actuelle et vitale pour la démocratie béninoise. Amnesty International Bénin a commencé le plaidoyer. L’idéal serait que d’autres OSC puissent se joindre à eux pour plus d’impact.
Le numérique est devenu le tremplin prisé par la jeunesse pour un engagement actif et participatif. Très actifs sur les réseaux sociaux, les jeunes ne se font pas prier pour critiquer l’action des gouvernants sur des panels Tiktok ou par des publications sur Facebook, X, etc. Allant des propos incisifs aux commentaires percutants sur les décisions du gouvernement, l’action publique est passée au crible par les citoyens via le numérique. Il offre en effet, une courroie de transmission entre le peuple souverain et le pouvoir. Mieux, le numérique est devenu un moyen de formation de l’opinion publique qui échappait au contrôle des gouvernants. A cela s’ajoute, une croissance exponentielle des médias sociaux.
Pour reprendre le contrôle, des réformes ont été entreprises pour réorganiser le secteur du numérique à travers des lois. Ainsi, un code du numérique a été adopté en 2017. Depuis lors, la liberté d’expression est constamment restée sous menace au Bénin par le Code du numérique de 2018 comme le mentionne les rapports successifs (2022-2023 ; 2023-2024 ; 2024-2025) d’Amnesty International Bénin sur la liberté d’expression. Ce code est restrictif parce qu’il contient des infractions dont l’appréciation est laissée au juge. Il criminalise la « diffusion de fausses informations » ou le « harcèlement par voie électronique ». Plusieurs jeunes ont d’ailleurs été arrêtés sous le coup de cette loi (cf. rapport d’Amnesty International Bénin depuis 2022). Dans sa Dépêche No. 869, Afrobarometer rapporte à cet effet que : « Au Bénin, pays longtemps considéré comme un modèle émergent de démocratie, la situation des libertés publiques s’est considérablement dégradée au cours des dernières années, contrastant avec l’ère prospère des années 1990-2000 (Hutton, 2022). De nombreux journalistes et défenseurs des droits de l’homme ont fait l’objet d’intimidations, d’arrestations arbitraires et de poursuites abusives, et certains médias critiques du pouvoir ont été fermés ou censurés (Le Monde, 2020 ; TV5 Monde, 2024) » Il faut que les plaidoyers visant à améliorer le cadre légal encadrant le numérique s’amplifient et se solidifient.
Au demeurant, la participation citoyenne des jeunes à l’ère du numérique au Bénin doit passer par une dynamique holistique qui intègre plusieurs actions. Il s’agira de mettre les moyens pour réduire la fracture du numérique en procédant à la généralisation de l’accès au haut débit sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales. Aussi, il faut mettre en place une grille tarifaire abordable pour les jeunes. Ensuite, étendre les opportunités de formation sur l’utilisation à toutes les communautés afin de faciliter une utilisation responsable des réseaux sociaux par ces jeunes. Il faut un suivi régulier de ces jeunes et un renforcement de capacité continu. Enfin, plaider pour que la volonté politique accompagne en terme d’adoption de loi favorable à la participation citoyenne et à la liberté d’expression.