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La place des femmes dans l’espace civique béninois

Dans l’histoire du Bénin comme dans celle de l’Afrique, les voix et les mains qui ont façonné les institutions, les récits et les pouvoirs ont été majoritairement masculines. Les femmes quant à elles, au cœur de la vie économique, familiale et spirituelle, ont été confinées aux marges de l’espace civique. Pourtant, aucune grande nation ne s’est construite en laissant la moitié de sa population en arrière.

Ce paradoxe est d’autant plus frappant lorsque l’on se rappelle que le Bénin porte dans sa mémoire collective des figures féminines d’une puissance exceptionnelle. Les reines-mères, les prêtresses et les amazones du Dahomey incarnaient des figures de pouvoir incontestées. Malheureusement, le Bénin a vu s’installer au fil du temps des représentations sociales limitant les femmes à la sphère privée. La contradiction entre ce passé et un présent où elles peinent encore à occuper des espaces décisionnels reste critique.

Aujourd’hui, une transformation lente s’opère. Sous l’impulsion des luttes féministes, des réformes étatiques, de la montée en puissance des organisations locales et de l’éducation des filles, la participation citoyenne des femmes gagne en intensité, en légitimité et en visibilité. La question de la présence des femmes dans l’espace civique ne relève donc plus du simple débat sociopolitique. Elle représente un enjeu de civilisation. Interroger la place des femmes dans la vie publique béninoise, c’est relire notre histoire, confirmer les avancées accomplies et identifier, voir faire sauter, les verrous qui persistent encore.

Cet article propose donc une analyse au cœur des obstacles historiques nourris par les réalités sociales, des efforts multidimensionnels qui repositionnent progressivement la femme et des perspectives qui pourraient faire de la génération future la clé d’une citoyenneté véritablement inclusive.

Un héritage social, culturel et structurel

Les femmes sont sous-représentées dans la gouvernance. C’est un fait. Avant d’analyser les obstacles qui limitent la participation civique des femmes au Bénin, il est essentiel d’établir que la place que les femmes occupent dans l’espace public est d’abord un héritage. Ce positionnement est le produit d’une longue construction historique taillée par les normes sociales, les structures familiales, les croyances religieuses et surtout la colonisation et les organisations politiques.

Comme l’a démontré Pierre Bourdieu à travers la notion d’ «habitus», les sociétés transmettent inconsciemment des dispositions, des rôles et des limites perçues comme naturelles, mais qui ne sont en réalité que le reflet d’un ordre ancien. De même, les travaux de Fatou Sow et d’Awa Thiam, pionnières des études féministes africaines, montrent que les inégalités de genre sur le continent trouvent racine à la fois dans les structures traditionnelles, dans les influences coloniales mais aussi dans la persistance de modèles familiaux hiérarchiques. Le Bénin ne fait pas exception.

Pendant longtemps, et encore aujourd’hui, dans de nombreuses communautés béninoises, les hommes sont considérés d’office comme la figure décisionnelle et publique. A contrario, les femmes sont appelées à la discrétion, la domesticité, et le dévouement au chef de famille. On leur attribue une sagesse d’arrière-plan et une efficacité dans les tâches secondaires. Ces rôles traditionnellement assignés aux femmes constituent une barrière invisible mais puissante contre l’accès des femmes au leadership et à la prise de parole publique. D’ailleurs les amazones du Dahomey ont souvent été perçues comme exceptionnelles, non comme un modèle généralisable.

Ainsi, la faible représentation des femmes en politique et dans les instances civiques à notre époque, n’est pas seulement une réalité contemporaine, mais un prolongement de structures anciennes, longtemps considérées comme normales. Ce malheureux héritage profondément enraciné continue d’influencer la perception du leadership féminin. Il abîme l’estime de soi des femmes béninoises, au point que beaucoup ont fini par accepter, malgré elles, l’étiquette humiliante de ‘sexe faible’ et de simples accompagnatrices.

Les disparités éducatives et socio-économiques représentent une autre corde au cou des femmes. Le droit de participer activement à la vie civique et politique a malheureusement été caché à celles-ci à travers la non scolarisation et le manque d’information. Les femmes, autrefois privées d’éducation, n’ont nullement eu besoin de faire preuve de manque d’intérêt à l’espace civique avant de perdre ce droit. Ce défi reste d’actualité et les données de la banque mondiale en 2022 révèlent bien son ampleur.

  • Seule 1 fille sur 10 âgée de 21 à 24 ans termine ses études secondaires ;
  • 1 tiers des jeunes femmes de 20 à 24 ans sont mariées avant 18 ans ;
  • 15 % des adolescentes sont déjà mères entre 15 et 19 ans.

Ces indicateurs prouvent combien la trajectoire personnelle et professionnelle des filles est fragilisée encore au 21e siècle. Ce qui réduit leur exposition aux enjeux citoyens et limite leur accès aux postes électifs ou décisionnels.

Par ailleurs, les violences basées sur le genre (VBG) constituent l’une des manifestations les plus visibles des rapports de pouvoir inégalitaires entre hommes et femmes. Selon plusieurs études régionales, les VBG agissent comme un frein psychologique, social et institutionnel. Au Bénin, près de 3 femmes sur 5 sont victimes de VBG. Ce phénomène affecte directement la confiance en soi, la mobilité sociale, l’accès à l’éducation, et la capacité des femmes à participer aux espaces publics. Ce qui naturellement conditionne la manière dont la femme accède ou pas à l’espace civique.

De surcroît, la politique a longtemps été perçue comme un domaine réservé aux élites, aux réseaux masculins et aux figures déjà initiées. Aujourd’hui, même si des mécanismes comme les quotas et la discrimination positive existent, les femmes affrontent encore des résistances internes aux partis, le manque de ressources financières et le scepticisme social autour du leadership féminin. Avant sa nomination à la tête de l’Institut National de la Femme, INF, Mme Claudine Afiavi Prudencio était la seule femme cheffe de parti politique au Bénin, après Rosine Soglo. Ce déséquilibre est l’une des causes de la faible représentativité des femmes dans les institutions publiques. Comme l’a souligné l’ancienne ministre Prudencio, le rythme d’accession des femmes aux hautes fonctions évolue positivement, mais reste encore lent.

Un paysage institutionnel et social en mutation

 Le Bénin a engagé ces dernières années plusieurs réformes visant à promouvoir l’égalité de genre. Depuis 2022, des efforts majeurs sont entrepris pour scolariser, maintenir et protéger toutes les filles dans le système éducatif. Les lois contre les violences basées sur le genre, contre le harcèlement et en faveur de la représentation féminine au sein du parlement béninois témoignent d’une volonté politique affirmée. Et ce n’est pas qu’une avancée symbolique. En plus d’institutionnaliser l’égalité comme norme, ces lois reconfigurent concrètement la position des femmes dans l’espace civique en modifiant la manière dont elles accèdent aux droits, participent aux décisions, et sont représentées dans les dynamiques communautaires. Les mesures d’inclusion réduisent la barrière et renforcent la légitimité politique de la femme. La présence féminine croissante parmi les ministres (5 femmes sur 21), les ministres conseillers (3 femmes sur 12) les députées (29 femmes sur 109), etc, est plus ou moins normalisée. Cette présence, bien que partielle, modifie les imaginaires collectifs et crée des modèles inspirants pour la génération Z. Aussi, elle diversifie les perspectives dans la prise de décisions notamment sur des sujets longtemps invisibilisés (santé sexuelle et reproductive, violences sexistes…).

De plus, la femme est de plus en plus protégée des violences et pratiques qui autrefois limitaient son expression citoyenne. L’Institut National de la Femme est aujourd’hui au Bénin une institution de qualité dirigée par une femme pour les femmes. Présente sur le terrain et très active sur les réseaux sociaux, lieu réputé siège des discriminations sexistes et de la misogynie au 21e siècle, l’institution se bat pour les femmes. Elle multiplie des communications, des campagnes pour promouvoir le leadership féminin et lutter contre toutes les formes de violence et de discrimination à l’endroit des femmes. L’INF œuvre aussi pour la promotion de la femme dans les politiques de développement économique et social.

 L’autre avancée très intéressante et l’une des plus encourageantes réside dans la vitalité des organisations féminines locales. Les associations de femmes, les coopératives, les réseaux féministes, les clubs citoyens et les ONG locales sont nombreuses et sont dirigées par des femmes de vision. C’est le cas par exemple de Women and Power Association (WoPAs), la Fondation des Jeunes Amazones pour le Développement (FJAD), le Réseau Ouest Africain des Jeunes Femmes Leaders Section Bénin (ROAJELF-Bénin) et même AfricTivistes CitizenLab Bénin. Ces organisations structurées et particulièrement actives créent des espaces propices à la prise de parole, au plaidoyer et forment les jeunes filles et femmes sur leurs droits civiques. Grâce à elles, les femmes se solidarisent et portent des agendas collectifs, elles ont une capacité d’action civique plus élevée et peuvent se défendre mutuellement.

Ces transformations institutionnelles, politiques redonnent aux femmes une place visible et légitime dans l’espace public. Les femmes de cette génération apprennent à se dire capables, à prendre place et à influencer les décisions. Toutefois, cette redéfinition reste fragile, car elle s’accompagne de résistances et d’inégalités persistantes qui exigent vigilance et persévérance.

La génération future, clé d’une participation citoyenne inclusive

Si l’héritage historique explique en partie les résistances actuelles, c’est indubitablement dans la génération future que réside la véritable promesse de transformation. Les jeunes filles d’aujourd’hui grandissent dans un environnement davantage favorable. Elles sont scolarisées, plus connectées, mieux informées et exposées à des modèles féminins visibles. Elles disposent ainsi de ressources que leurs aînées n’ont jamais eues.

L’éducation des filles aujourd’hui demeure le meilleur gage de leur présence demain dans les arènes publiques. Quand une fille étudie, elle gagne facilement en confiance, en autonomie, en capacité d’analyse et même en pouvoir. Elle peut se permettre des ambitions, porter sa voix pour défendre ses idées et s’affirmer dans la sphère civique. Le défi pour l’avenir serait alors de poursuivre les programmes étatiques de maintien des filles à l’école, de lutter contre les mariages précoces et de promouvoir l’accès à des filières stratégiques de gouvernance.

Comme la rhétorique des discours sur l’égalité le signifie très souvent, le premier combat demeure celui des mentalités. Tant que les femmes elles-mêmes ne seront pas convaincues qu’elles méritent et peuvent occuper des positions de pouvoir, les espaces qui leur sont réservés resteront vides. Heureusement, ces dernières années, les conférences sur la confiance en soi, l’égalité genre, la représentativité des femmes, la gouvernance au féminin et bien d’autres thématiques similaires affluent. Les femmes ont de plus en plus de figures féminines inspirantes qui ont pu briser le plafond de verre dans leur domaine respectif.

Il reste à réécrire les imaginaires sociaux. Mettre en avant les figures féminines inspirantes, valoriser les responsabilités locales, produire en abondance des récits et contenus pédagogiques qui normalisent le leadership féminin, sont autant d’actions capable d’influencer positivement la génération future. Sans oublier la mise à profit du numérique pour permettre à cette génération d’exister politiquement en dehors des cadres formels souvent verrouillés. Cette dernière pourra de ce pas vivre la participation citoyenne féminine comme une évidence.

En conclusion, la génération future deviendra le moteur d’une citoyenneté inclusive si elle évolue dans un État qui protège, forme, écoute et valorise les femmes. Les femmes ne manquent ni de potentiel, ni de légitimité, ni de compétences pour participer pleinement aux décisions qui construisent notre pays. Elles en ont non seulement la capacité, mais aussi le droit absolu, au même titre que les hommes. Il ne suffit plus d’attendre que la société évolue, il faut que les femmes prennent le pouvoir au sens le plus noble du terme.

Le Bénin ne peut prétendre à une démocratie forte tant que les femmes ne sont pas présentes là où se discutent les priorités nationales, là où se bâtit l’avenir. À plusieurs reprises dans mon parcours citoyen, j’ai vu des jeunes femmes brillantes hésiter à prendre la parole, comme si elles s’excusaient d’exister. Ce silence n’est pas un hasard. Il est un héritage que nous devons collectivement briser. Le Bénin a déjà amorcé son virage. Reste maintenant à chacune et à chacun de l’accompagner, afin que la démocratie cesse d’être un espace masculin, et devienne enfin un espace national. Le futur civique du Bénin se conjuguera avec les femmes, ou ne se conjuguera pas.

Livre consulté: Femmes et pouvoir politique au Bénin – Des origines dahoméennes à nos jours, Friedrich Ebert Stiftung, 2012

Par Chimène FASSINOU-GANGO

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